Un réseau social dessiné par Mœbius (Jean Giraud) en 1999-2000.

Je vais vous parler d’un projet de site web et réseau social datant de vingt ans.
Durant ces temps immémoriaux Facebook (création en 2004), YouTube (création en 2005), Twitter (création en 2006)… n’existaient pas et Google balbutiait. Nos connexions se faisaient presque toujours par modem 56 k pour les plus chanceux, on payait pour chaque minute de connexion, et les recherches sur le web se faisaient via AltaVista avec le navigateur Netscape. Pas de téléphone portable bien sûr, bref c’était le futur en 1999.


En 1999, deux grands éditeurs français avaient décidé de se lancer dans la création d’un site web (nous utilisions le mot portail à l’époque) pour les adolescents, le nom de ce projet était MAGADO (pour magazine adolescent). Le but était de réunir énormément de contenu déjà produit sur papier (et vidéo) et de les transposer en ligne afin de créer le site de référence pour les adolescents. Une équipe fut mise en place en interne et elle commença rapidement à collaborer avec d’autres sociétés (pour le développement par exemple avec l’équipe de Cory McCloud de Gyoza) et des travailleurs indépendants (dont moi, en tant que directeur artistique, et aussi Arnaud Dangeul, Hervé Lalo…).
Chose remarquable dans cet ambitieux projet, nous avions dès le départ intégré le design sonore (qui malheureusement arrive souvent à la fin de ce genre de projet) en la personne de mon compère Jean-Jaques Birgé (avec qui j’avais précédemment travaillé sur les CD Rom Au Cirque avec Seurat et Carton avec la société Hyptique de Pierre Lavoie).

Le choix technique fut d’utiliser Adobe Flash, car c’était à l’époque la solution la plus pertinente pour associer qualité graphique, possibilité d’animation et performance technique. Le site était un réseau social sans que nous le sachions; les internautes possédaient des avatars, des profils, pouvaient s’échanger des messages, pouvaient voir en temps réel qui était en ligne…
Le monde de Magado devait changer perpétuellement (des évènements devant apparaître, de nouveaux lieux à découvrir, de nouvelles zones…), le Monde (un gros Rubik’s cube) était fait de multiple cases toujours différentes, la météo pouvait changer et les internautes auraient dû explorer l’environnement afin de faire de nouvelles découvertes (à la manière du futur jeu Dofus sortit en 2004 par exemple).

À un moment donné, lors de la création du prototype, je fus confronté à un problème graphique, je n’arrivais pas à trouver un/une illustrateur capable de dessiner ce que j’avais imaginé (surement de ma faute), mais surtout en se pliant aux contraintes du dessin dans Flash (dessin sous forme vectorielle afin d’avoir les images les plus légères possibles sur le web). Lors d’une réunion, on me demande des références d’illustrateurs afin de trouver la perle rare, et je dis qu’il me faudrait soit Hergé (disparu en 1983) ou Mœbius en plaisantant.

Et Jean-Jacques Birgé me dit :
«c’est OK on peut rencontrer Mœbius quand tu veux !»

Et dès la semaine suivante (de mémoire), je me retrouvais à passer mes jeudis après midi en compagnie de Mœbius dans son atelier de Montparnasse. J’arrivais à 14h, je le voyais quitter ses planches de Blueberry et nous discutions de l’univers à développer en se basant sur mes pauvres croquis (voir les images en bas de l’article). Je ne vais pas en rajouter, mais voir Mœbius dessiner tout en parlant, développer ses idées par le dessin, créer un petit éco-système ludique et poétique, fut réellement une grande expérience. Il dessinait de manière naturelle, sans faire de retouche, c’était comme participer à une discussion passionnante, mais en voyant devant ses yeux se matérialiser les idées par le dessin. Dans le documentaire Dune, Jodorowsky disait exactement la même chose, quand il parlait de Mœbius en train de dessiner le story-board de Dune.
Je vous laisse apprécier les dessins, mais aussi les noms de nos petits animaux devant peupler ce Monde; Serpentoufle, Vélosirappeur, Canon Balle, Autoroue, Bicube…

Malheureusement, ce magnifique projet de réseau social culturel pour adolescent dessiné par Mœbius fut tué dans l’œuf par les grands chefs de la maison d’édition, car le modèle économique n’était pas trouvé (mais comment allons nous faire de l’argent sur le web?). Nous étions juste avant l’explosion de la bulle internet de 2001 (mais nous ne le savions pas 😉 et le modèle économique basé sur la collecte (honteuse) des données personnelles n’était pas encore trouvé. Il fallait donc faire payer un abonnement aux utilisateurs (en plus du prix de leur connexion) et nous avions aussi pu voir l’échec commercial d’un jeu révolutionnaire comme Le Deuxième Monde créé par Canal+ Multimedia en 1997 (sous l’impulsion d’Alain Le Diberder).

Bref, après presque vingt ans d’oubli dans des SyQuest 44 Mo et autres supports numériques obsolètes, voici quelques images et une vidéo d’un premier test technique (Flash en ligne multi-utilisateur) de ce projet.

Merci mille fois à Hervé Lalo et Jean-Jacques Birgé qui ont pu retrouver une grande partie de ces images et fichiers Flash. 

Les dessins sont tous de ©Mœbius, sauf deux, mais vous allez les trouver facilement. 😉

ps : chose amusante, le site www.magado.com renvoie maintenant sur un site de Bayard.



Pour les historiens du Web, Jean-Jacques Birgé a pu récupérer un résumé d’une réunion préparatoire :

Magado est un écosystème, un espace vierge à construire, les premiers magadiens en seront les pionniers.
Magado n’a pas d’histoire.
L’instant est plus important que le passé, les émotions plus que la narration.
C’est un théâtre avec ses décors, costumes et accessoires. Les magadiens s’en emparent.
Magado est habité par les magadiens et aussi par des personnages virtuels : les administrateurs de Magado et des êtres totalement virtuels gratuits ou ayant une fonction.
Le mouvement est une caractéristique de Magado : évolution, transformation, déplacements de dynamiques, de qualité différentes selon les lieux.
Magado a son propre temps, vit son rythme naturel. 

  • pas réaliste
  • trouver une cohérence dans l’incongruité
  • forcer les contrastes d’échelles
  • perspective axonométrique
  • penser les dessins en mouvement : les accès se font en cliquant sur des éléments mobiles, la progressions dans l’univers par zooms successifs.

Les différents espaces Chaînes (Ta mire ! / Viens voir) 
Les chaînes, c’est un émetteur qui diffuse l’actualité dans Magado. Un lieu d’exploration, de découverte, d’apprentissage, de divertissement.
C’est un espace relativement calme où l’on n’est pas forcément en contact avec les autres. C’est immatériel, un monde d’électrons, d’ondes. Les chaînes sont associées à la communauté : on rencontre des gens, on discute et si on veut, on plonge dans une télé (une chaîne).
L’espace chaînes est donc situé dans l’espace communautaire ou à sa frontière. 
Les chaînes (les télés) sont rassemblées en une architecture circulaire, dans laquelle on peut pénétrer : un empilement de TV à la Nam Jun Paik, un mégalithe, une tour de Babel. L’image de la ziggourat est la plus appropriée : forme circulaire, tubulaire, possibilité de pénétrer à l’intérieur, développement ascendant.
La tour peut s’élever quand les thématiques des chaînes se développent. Quand le magadien choisit une chaîne, il entre à travers une télé, il se trouve à l’intérieur de la ziggourat, c’est sombre, comme une pièce, la nuit, éclairée seulement d’un poste allumé. Le magadien est passé de l’autre côté du miroir, il change de monde.
Les déplacements sont régis par une autre loi, c’est planant, il n’y a plus de pesanteur. Les sujets des rubriques flottent dans l’air, ils ressortent bien dans l’obscurité, comme des hologrammes. La nature des hologrammes et l’ambiance sonore permettent d’identifier la thématique de la chaîne. L’ambiance sonore n’est pas omniprésente, c’est un faux silence. Le magadien peut s’emparer d’un hologramme, cela déclenche l’exploration du sujet. Prendre un hologramme, c’est entrer dans un tableau.
La présence de la salle obscure subsiste, mais maintenant l’essentiel, c’est ce qui se passe dans l’hologramme, c’est la découverte d’un sujet.  
Communauté (Ta rue / Bouge toi !) La communauté est un élément central dans Magado : rencontres, débats, créations collectives, etc. L’histoire de Magado s’y construira peu à peu en particulier avec les clubs et les archives des sujets diffusés dans les chaînes. C’est un lieu ouvert et grouillant, plus étendu que les chaînes et  proche de celles ci. Même si les magadiens ne sont représentés que dans les chats, leur présence et – de façon plus générale – la vie est évoquée : voix, êtres insolites, traces, ombres, empreintes, monstres… Dans la vraie vie, les lieux de discussions ne sont pas forcément conçus à cet usage : une discussion passionnante s’éternise parfois sur le pas d’une porte, au bord d’un trottoir, juché sur une balustrade, installé sur des bidons ou sur un escalier.
Dans Magado, les lieux communautaires pourraient être une architecture extérieure et insolite dans le genre des palais à ciel ouvert imaginés par Escher, en plus vivant, plus ludique. L’architecture elle-même pourrait être vivante.  
Jeux (L’arène ou le bakassable / Défie les !) L’espace jeux attirera forcément des magadiens, il n’est pas nécessaire de le mettre en avant. Les joueurs partagent des secrets étrangers aux non initiés. Ils sont complices. Cependant, des néophytes peuvent se trouver pris au jeu malgré eux. L’ambiance est électrique, les couleurs vives, il y a du suspens. Il y a du monde, mais ça ne grouille pas : les joueurs s’organisent autour de parties. L’espace jeux est vu comme une arène ou comme un flipper géant dans lequel on évolue. Le centre de l’arène est un lieu de rencontre, des spectateurs peuvent prendre place dans les gradins. Si c’est un flipper, chaque boule représente un jeu. On peut en ajouter autant qu’on veut.  Coin perso (Chez toi / Organise toi) C’est l’endroit dans Magado où l’on peut être tranquille, être seul. C’est intime tout en étant relié au monde extérieur. Les magadiens sont des nomades, ils choisissent leur coin pour planter leurs tentes : près des chaînes, près des jeux, près de l’espace communautaire ou bien dans un lieu sauvage. Les tentes des magadiens ne sont pas immédiatement visibles, elles sont un peu dissimulées dans le paysage, par exemple dans une faille à la jonction de deux espaces. Leur emplacement est identifié par une ou deux petites tentes ou par une lampe, des néons plantés dans le sol.  Orientation (Le kiosk / Trouve !)
L’espace orientation est sur une hauteur d’où l’on a une vue sur Magado et vers ailleurs. C’est le seul endroit dans Magado d’où l’on peut vraiment voir l’horizon et le ciel. L’espace orientation regroupe des fonctions très variées : guide du Web, recherche thématique et recherches spécifiques (magadiens, produits et sorties) L’unité pourrait être assurée par la présence d’un personnage qui a réponse tout (VRP polyvalent ou devin tout puissant) ou d’un outil symbolisant la recherche comme par exemple un télescope.
Autres idées : Guide du Web :

  • un personnage qui part en expédition sur demande des magadiens et envoie un reportage
  • un télescope qui permet d’accéder à d’autres constellations

 Recherche thématique

  • un télescope : on vise et on se téléporte dans ou hors Magado.

 Recherche de magadiens / Trouve le pote qu’il te faut !

  • un trombinoscope
  • un haut parleur pour les appeler

 Recherche de produits / acheter des magadélices

  • on envoie un pélican ou une pie chercher ce qu’on veut

 Rechercher des sorties / plein de plans pour t’éclater

  • des flyers ou des affiches
  • des affiches
Quelques croquis de Mœbius pour le projet Magado en 1999-2000
Croquis Étienne Mineur en 1999 pour Magado
Croquis Étienne Mineur en 1999 pour Magado
Vidéo du premier test technique (en Flash à l’époque)