Résumé très succinct

• Évolution récente des IA
• Comment voient-elles notre Monde
• Un dialogue halluciné s’installe
• Que faire en tant que designer
• C’est foutu, mais il reste un espoir…

Introduction
Si vous me suivez un peu, vous avez dû remarquer que je me suis intéressé aux nouvelles avancées des programmes d’intelligences artificielles dans le domaine graphique et textuel. J’ai toujours été un peu dubitatif et méfiant (voir cynique) par rapport aux discours (souvent très marketé) autour des IA, mais depuis quelques mois avec les avancées de Disco Diffusion de Google ou du GPT-3 d’Open AI (et j’attends Dall-e 2 avec impatience), mon avis a totalement changé. Autant vous le dire franchement je suis bouleversé, enthousiaste et affolé en même temps, après avoir pu expérimenter moi-même ces nouveaux outils.
Je vais utiliser le terme « intelligence » artificielle (IA) dans ce petit texte, mais je suis bien conscient que ce terme d’intelligence est problématique (nous pourrions parler de machine à apprentissage profond, d’apprentissage automatique, d’apprentissage par renforcement, de réseau de neurones…). Je ne suis pas un spécialiste des IA en terme technique, je suis juste un utilisateur qui essaye de trouver un usage et un moyen d’expression en utilisant ces technologies.


Petit état des lieux
Pendant des années nous avons « appris » à ces IA à reconnaitre à partir d’images numérisées un chat, un chien, une voiture, un pont, un passage piéton, une police de caractère (avec les captchas par exemple)… et maintenant nous retournons la question, nous leur demandons, mais à quoi ressemble un chat pour toi ? Et c’est là que c’est passionnant, car nous découvrons littéralement un Nouveau Monde très étrange. En effet les IA ne peuvent appréhender le Monde comme nous. Elles n’auront jamais l’expérience du vécu, de la douleur, de la joie, du plaisir, de la passion, du fun… Elles ont une représentation du monde qu’à travers des données numériques que nous lui avons fournies. Elles ne peuvent comprendre notre monde qu’à travers les ombres numériques projetées de notre propre réalité (un peu comme dans le mythe de la caverne de Platon, si j’ose la comparaison). Elles voient notre monde uniquement grâce aux données numériques des internet et de nos échanges sur les réseaux.  Leurs réponses ne peuvent donc qu’être biaisées, simulées et décalées  par rapport à nous, humains. Nous sommes donc en face d’un sophisme numérique (un raisonnement faux malgré une apparence de vérité). Ce serait comme demander à un extraterrestre de nous décrire notre propre monde.  Mais ces réponses étranges (et souvent dérangeantes comme le montre la dernière image de mon article) sont justement passionnantes et intéressantes (un art brut numérique!), car curieusement cette mauvaise compréhension, ces approximations, ces erreurs, ces malentendus, ces collisions… peuvent générer des propositions graphiques ou textuelles originales et inattendues.

Un dialogue halluciné s’installe avec des images qui s’écrivent
À la différence du design génératif, le dialogue entre l’IA et son utilisateur se fait par le langage naturel (aucune de ligne de code à écrire, pas de syntaxe rigoureuse à apprendre, pas de bug, pas de blocage…) ; s’instaure alors très vite un dialogue naturel entre l’IA et l’humain, on écrit littéralement des images. La partie technique disparait totalement (on rentre dans la magie), et une certaine empathie s’installe, on essaye de trouver les bons mots et des références communes afin d’obtenir un résultat satisfaisant ou étonnant. On passe d’une habilitée du geste (le dessin) à une habilité du langage. Soudain, on trouve la bonne phrase (le « Prompt » parfait !) et les résultats semblent inouïs, cette phrase est semblable à une incantation magique secrète auprès d’une entité diabolique (je m’emballe un peu !). Je trouve très beau ce dialogue entre IA et humain, et ce sont ces imperfections, ces erreurs, ces glissements d’interprétations, ces malentendus qui sont si précieux.  C’est un peu comme discuter avec des enfants en bas âges en leur demandant de raconter des histoires ; ces histoires sont souvent totalement décalées ou absurdes par rapport à notre logique d’adulte, mais elles sont toujours surprenantes, originales et souvent belles. Ces étranges propositions éphémères déclenchent de nouvelles idées, de nouvelles directions de recherches (en tous cas pour moi), même si ces propositions ne sont qu’une accumulation de choses déjà réalisée (l’IA ne va rien inventer, elle collecte, remixe, puis reformule une proposition à partir de ces données). Et c’est nous qui projetons  des intentions, des idées… sur les réponses de ces IA (qui ne comprennent pas vraiment ce qu’elles font, mais ce n’est pas grave).Malheureusement, ces imperfections  vont  surement être gommées dans l’avenir (j’imagine que le but, inatteignable, étant de reproduire à l’identique une intelligence et une sensibilité humaine). J’espère que l’on pourra garder quelles une de ces  IA un peu « pataudes » et naïves dans l’avenir ? 

Maintenant que faisons-nous ?
Cette IA dessine mieux que moi, va mille fois plus vite et a vu et lu beaucoup plus d’images et de livres que moi (même si elle n’a pas vraiment tout compris) : que faire ?
La production artistique et éditoriale et donc à repenser, nous allons devoir nous positionner par rapport à cet évènement en tant que designer (ou créateur d’images, de sons ou de texte). Pour le moment je trouve le dialogue très stimulant, et je suis dans une phase d’exploration. Je me retrouve comme un dresseur (apeuré) de fauves, essayant de canaliser une fureur productive. J’essaye de guider, de trouver un vocabulaire commun avec ces IA (qui n’ont aucun bon sens, aucune morale…) afin d’avoir des textes ou des images à mon gout. Je me retrouve dans la position d’un guide, d’un directeur artistique essayant de formaliser mes idées par quelqu’un d’autre de totalement halluciné et qui ne se fatigue jamais.

L’immense avantage (il faut bien en trouver un) que nous avons par rapport à ces IA, c’est notre expérience du vécu (notre savoir « expérientiel »), notre faculté à vivre dans le monde physique. L’usage est au cœur du travail du designer, j’estime qu’une grande partie de mon travail est de proposer de nouveaux usages par rapport à une problématique précise (sociale, ludique, technique…). Dans ce domaine, les IA ne peuvent absolument rien créer d’original, car elles n’ont justement pas cette expérience du vécu si inspirante et créatrice d’idée. Dans mon expérience personnelle, mes idées viennent souvent de l’observation de la vie quotidienne (un enfant tenant un téléphone à l’envers, une blague, le mauvais usage d’un objet, un accident technique, un film, une chanson, un jeu…), ou de la frustration (voir de la colère) venant d’un objet ou d’un service mal pensé. Ce mélange, d’étonnement, d’émerveillement, de surprise, de colère ou de frustration créatrice ne sera « jamais » accessible à une IA, et c’est donc dans ce domaine que nous devons nous différencier.
Pour conclure très temporairement, l’IA est un outil prodigieux permettant d’accroitre sa créativité (avec toutes les réserves que l’on peut apporter). L’IA ne va pas créer du sens, c’est à nous d’y trouver du sens à travers nos choix, notre imaginaire et notre expérience de la vie : nous sommes condamnés à devenir intelligents comme le disait Michel Serres.

Il faut tout de même savoir (histoire de se faire très peur) que pour Balazs Kegl (responsable chez Huawei des IA), la nouvelle étape consiste à trouver des systèmes « qui agissent et interagissent avec le monde physique » afin de faire une représentation du monde la plus proche de la notre. Ainsi, notre seul avantage risque de se voir concurrencer prochainement par cette nouvelle étape dans le développement des IA.

Remarques (en vrac)
Dans la création d’images, voici quelques remarques que j’ai pu observer :

Il faut utiliser des références connues (mieux vaut demander une image utilisant le style du studio Ghibli que le style d’Étienne Mineur ayant un peu moins d’occurrences sur Google image ;).
Il faut rester doux et demander gentiment de minimes variations afin d’obtenir des résultats intéressants.
Cela entraine une standardisation du rendu
Aucune originalité, mais une agrégation de style et d’images (pouvant parfois amener à découvrir tout de même une piste intéressante).

Uniquement un reflet de nos propres images
• C’est un vrai flux d’images assez angoissant (un synthétiseur d‘images) ,
• La vue de la production incessante et hallucinante d’images peut parfois démoraliser et fatiguer. On ne sait plus quelle image choisir (saturation de l’utilisateur)
• Surabondance, surproduction et saturation d’images sans signification par la suite (inventer une écologie de l’image).
• Le grand jeu étant de mélanger des styles totalement antagonistes (un minimalisme maximaliste…), trouver des axes de tensions…
• Regarder une machine produire des images est toujours aussi fascinant
• Mieux vaut travailler au début en noir et blanc afin d’éviter à gérer trop de paramètres.
• Si j’étais story-border, concept-artist, designer textile de motifs… je commencerai à m’inquiéter sérieusement.
• l’IA requiert une immense quantité de puissance de calcul pour fonctionner (je n’arrive pas trouver de chiffres précis).

Le futur (on en reparle dans 10-20 ans)
Nous pouvons déjà imaginer des  jeux vidéo dans lesquels les PNJ seraient capables d’interagir et de dialoguer avec le joueur sans obéir à de simples scripts ou à des arbres de dialogues déjà écrits. Mais nous pouvons aller plus loin, car des IA peuvent déjà quasiment « halluciner » un rendu visuel temps réel juste à partir d’annotations.

Nous pourrions donc imaginer dans le domaine des jeux vidéo, jouer/dialoguer avec des IA en pleine hallucination –> elles nous fournirait à l’écran des images et des animations suivant les actions du joueur, le jeu serait un vrai dialogue entre le joueur et l’IA ou chaque nouvelle partie de jeu serait unique.
Donc, plus de 3D, d’animation… juste un grand remix d’images en temps réel proposé par les IA à partir d’images déjà produites (dans le style de votre choix).


Il va falloir indiquer sur les images (et aussi textes, sons) : « fait avec l’aide d’une IA », un peu comme l’utilisation de l’auto-tune dans la musique.

Nous allons avoir des détecteurs d’images faites par des IA.



Exemples de « prompts » me permettant d’obtenir ces images :

typeface letter « A » with long hair in black and white

typeface letter « A » with long hair in black and white
A typeface, the letter « A » based on a bird’s feather, black and white
typeface with long hair in black and white
typeface with long hair in black and white
Tree engineered by Escher and painted by Gustave Doré
Et pour finir une image un peu dérangeante (ce qui arrive fréquemment avec ces outils).

Étienne Mineur

Étienne Mineur, né en 1968, est un designer, éditeur et enseignant français, dont le travail est axé sur les relations entre graphisme et interactivité.
Diplômé de l’école nationale supérieure des arts décoratifs de Paris en 1992, il commence sa carrière dans le domaine du CD-ROM culturel. Il est à cette occasion directeur artistique chez plusieurs acteurs majeurs du domaine : Index+ (Cofondateur avec Emmanuel Olivier), Nofrontiere (Autriche), Hyptique (Paris).
Par la suite, il travaille en tant que directeur artistique pour Yves Saint Laurent (CD Rom sur l’œuvre d’Yves Saint Laurent), Gallimard (Cd-Rom sur l’œuvre de Marcel Proust), Issey Miyake (site web), Chanel (site Web) mais aussi pour Nokia (design d’interface) et la fondation Cartier (catalogue d’exposition).

En 2009, il décide de revenir vers le design lié aux objets physiques. Il fonde Volumique qui est une maison d’édition, mais aussi un studio d’invention, de conception et de développement de nouveaux types de jeux, de jouets et de livres, basé sur la mise en relation du tangible et du numérique.

All author posts

Privacy Preference Center